mardi 21 août 2012

Algérie, terre natale


                      
    Alger, ma ville

Immergée dans les délices amniotiques de ton environnement généreux,
mer et sables fins à ma gauche, montagnes et neiges hivernales à ma droite,
entre-deux, des visages, beaucoup de visages, aimants, aimés ou séducteurs,
des chemins mille fois arpentés, des parcs et jardins de ville, des scintillements nocturnes, des quartiers inaccessibles…
 je n'avais pas su que tu étais mienne, toi, ma ville natale
 et, malgré tous les attachements que j'ai pu éprouver depuis pour d'autres lieux ...
irremplaçable !
Or, c'était l'évidence même ...Mais étrangement, la petite algéroise n'avait pas pris conscience
 d'avoir son terroir, là, sous les pieds et n'avait pas prévu qu'elle ne se sentirait sans doute jamais 
aussi totalement chez elle qu'en ces lieux-là.
 Tout s'était passé comme si elle avait vécu en union fusionnelle avec sa terre natale, celle de ses parents, de ses grands et arrière - grands- parents, sans parler de cette lignée d'ancêtres dont elle n'avait même pas songé à étudier la généalogie,
elle n'avait jamais mis entre son pays et elle cette indispensable distance qui permet de prendre la mesure d'un attachement!
        Loin de mesurer le privilège insigne de demeurer sur ses terres natales ,et de savourer tous les bonheurs que celles ci pouvaient dispenser, elle se transportait en imagination
vers l'autre rivage de la Méditerranée, et toutes ses aspirations allaient vers l'autre
patrie, si belle, et prestigieuse.
C'est ainsi que j'ai pris les devants: avant que la guerre d'Algérie se laisse
prévoir: je l'ai quittée la première, je l'ai trahie, mon irremplaçable, avant qu'elle
ne me trahisse.! J'ai laissé mes rivages brodés de flots d'azur pour une terre
d'élection; ce fut Paris. Mais je ne dirai pas, comme Andersen de sa Petite Sirène,
que chaque pas loin de ma mer d'origine me causait une secrète souffrance.

Algérie, tu restes aujourd'hui ma terre natale méconnue, mal aimée, et je
voudrais racheter mon attitude légère, insouciante, en te faisant un instant revivre
par les mots
Territoire perdu, ou plutôt abandonné volontairement? Pour m'évader de ce
que j'appelais ma cage dorée, et peut-être aussi pour échapper à un malaise
diffus, provoqué par les oscillations continuelles, dans les attitudes et les propos,
entre les démonstrations paternalistes et les marques de dédain, ou d'hostilité
envers nos frères défavorisés. Par attrait aussi pour notre Douce France ...
Nul doute que notre vénérable lycée Delacroix qui m'a façonnée de six à dix
huit ans avait parfaitement réussi une de ses missions essentielles : inculquer à
tous les enfants d'Outre Mer l'idée ou plutôt le sentiment d'appartenance à une
patrie, une seule :la France Si bien qu'en quittant mon Algérie natale, je crus
vraiment rejoindre ma patrie idéelle, plus vraie que nature ...
Et elle le fut, patrie d'adoption, elle tenait ses promesses, je m'y sentis chez
moi, aujourd'hui, je suis une citoyenne française sans équivoque, une européenne
pressée de voir les grands projets de l'union européenne s'accomplir, désireuse
  même de prendre part à ces transformations.
 
Alors, mon Algérie ?
Alger, tu es mon paradis perdu, trahi… et les êtres qui m'entouraient là-bas ne sont plus ici près de moi pour m'aider à fredonner le refrain des noms propres de mon enfance, ceux qu'on ne prononce plus: ces noms portés par les voix chères aux sonorités lointaines, dans un halo de tendresse.             .
La place Bugeaud, où je suis née, au-dessus du bar Novelty, devenue Place
d'Ysly, la rue de Tanger, et ses
« moutchous », le square Bresson et ses petits ânes
.la colline de Notre Dame d'Afrique où vivaient mes grands parents, le lycée
Delacroix, fréquenté assidûment depuis la «onzième» jusqu'au baccalauréat,
-la rue Michelet, la Faculté des Lettres, le bar de l'Otomatic, la rampe de l'Amirauté,
Bab el Oued, la salle Pierre-Borde, la rue Bab' Azoun, le Tantonville, le casino de
l'hôtel Aletti, Hydra, El biar, le Telemly les tournants Rovigo, Saint Eugène et ses
cabanons sur pilotis, les Deux Moulins..
Tous ces noms si familiers, j'ose aujourd'hui les faire résonner en échos dérisoires,
 après un si long silence.
Douce Algérie, terre prodigue! De la mer  encore  intacte, aux plages  presque désertes,
 à la neige vierge de toutes installations mécaniques jusqu'aux forêts
inexplorées, aux gorges sauvages couvertes de fleurs rares, tu nous dévoilais tes
secrets à profusion, tu nous offrais généreusement ces joies dispensées par une
nature intacte et j'en usais avec une insouciance qui provoque aujourd'hui mes
remords.
                            
  
 Mer natale
Terre natale ou plutôt «mer natale ».
Humaine privilégiée parce qu'issue de terres maritimes, j'ai pu éprouver comme une nature amphibie originelle, ressentir une plénitude physique, un bonheur total à nager dans tes eaux limpides et tièdes.
Je m'y sentais à ma vraie place, crawlant inlassablement, plongeant et remontant à
la surface sans relâche.
Certains rochers au large de mes plages habituelles, offraient un but aisément accessible
 à nos équipées nautiques. Je ne pourrai oublier l'un d'eux, à la Pointe Pescade,
où j'ai passé plusieurs étés de mon enfance: massif, escarpé, en forme de tête de chien,
 il s'étendait à cent mètres du bord sur une quarantaine de mètres et nous le contournions
souvent en barque ou en périssoire, avant de nous diriger beaucoup plus loin au Nord Est, vers «  les Deux Ilots » longues roches parallèles un peu inquiétantes entre lesquelles il nous arrivait de ramer par temps calme sur nos légères embarcations.
Mais c'est vers "la Tête de Chien" que, plusieurs fois par jour, avec mes
petites amies de plage ou mon cousin Charley, nous rivalisions de vitesse, avec d'exigeants critères de perfection dans le style, tous types de nage successivement adoptés.
Bien que ses abords fussent infestés d'oursins, nous savions les escalader
aisément. Je me souviens d'une certaine anfractuosité polie par les vagues et les
vents marins où je pouvais me lover aussi agréablement que dans un cocon
soyeux, j'y recevais les caresses solaires qui me réchauffaient après de longs ébats
marins, puis je repérais avec soin mon lieu de plongeon; car il fallait, du sommet
du rocher où nous nous élancions tête la première, presque à la verticale, viser la
mince étendue de sable blanc entourée de. roches et d'algues traîtresses: ces
fonds n'avaient plus de secret pour nous et nous savions exactement quel trajet
suivre pour revenir vers le bord en évitant une fois de plus les longues algues enchevêtrées qui
recouvraient des rocailles, des anémones de mer ou d'autres
bêtes plus visqueuses ou piquantes.
Cette connaissance intime des lieux marins, qui offrait une jouissance faite
de familiarité confiante à nos jeux enfantins les plus audacieux, je ne l'ai plus
jamais éprouvée par la suite.

Plages d’or pâle
Je dis Algérie, et c'est d'abord à vous que je pense, ô mes plages d'or pâle,
avec vos silences paradisiaques, à peine rythmés par les clapotis de mer calme
surtout par ces matins d'été torrides que j'adorais.
Je me souviens. Dès notre arrivée de la ville étouffante, nous déposions
nos vêtements avec une désinvolture étudiée sur le sable brûlant.
La surface de l'eau, lisse comme celle d'un lac, était à peine troublée par nos brefs plongeons. Extase asexuée des corps,
libérés de toute entrave, rafraîchis et pénétrés par cette amante fluide.
Nous rasions lentement les fonds, écrasés avec volupté par cette fraîche masse,
souffles retenus jusqu'à la suffocation., retardant le moment d'émerger et
d'accomplir enfin l'interminable nage qui scellerait un accord parfait avec
l'élément. originel retrouvé.
Pourquoi vous ai-je tant aimées, plages jonchées de coquillages ( hélas, nous
avons laissé ma boîte de collection!) dont je recherchais longuement des
spécimens minuscules, rares et colorés. Je me souviens de l'odeur iodée si forte
des monticules d'algues déposées par les vagues mauvaises, et des racines
blanchies aux formes tourmentées, sur ces plages modestes ou longues, souvent
presque désertes parce qu'éloignées d'Alger ,comme la plage Moretti ou celle de
Zéralda, célèbre lieu du débarquement des troupes alliées
Plages ... mer. .. Pourquoi étais je en si profonde connivence avec vous, sous
le ciel noyé de lumière? Me débarrassais-je de mes carcans de jeune bourgeoise
pétrie d'interdits, libérée de tout rite social, de toute tenue vestimentaire
révélatrice de mon appartenance familiale, le corps illusoirement rendu à une
liberté naturelle? Oui, peut-être dans l'enfance ...
Snobisme estival

Mais plus tard, il faut le dire, le charme fut en partie rompu: les signes
d'appartenance devaient se reconstituer sur certaines plages telles que la
Madrague ou Fort-de-l'eau où il était bien vu d'arriver en tenues apparemment
confortables, mais en fait d'un avant-gardisme très étudié, les premiers jean
faisant leur apparition ainsi que les shorts ultra courts, les spartiates et les bikinis
Un sport courant, le ski nautique qui impliquait l'usage de hors-bords ou de
Chris-Craft, se pratiquait déjà et même les premières planches de surf faisaient
leur apparition. Quant aux voitures décapotables style «Bonjour tristesse
», elles
rivalisaient de vitesse entre la Madrague et la ville : les pères participant souvent à
ces compétitions spontanées avec leurs Traction-Avant.
Mais ces raffinements de privilégiés étaient circonscrits à quelques établissements
balnéaires proches de la capitale. Les rivages plus éloignés, et ils étaient
nombreux, je pense à Surcouf, à Aïn- Taya, Sidi ferruch , au Cap Matifou et à tant
d'autres lieux, échappaient à ces tentations de snobisme citadin et gardaient leur
charme sauvage.
Etranges absences
Se pose alors la question de savoir pourquoi les « Indigènes »de ce pays ne
venaient jamais sur leurs propres plages, pourquoi leurs enfants ne s'ébattaient
pas dans ces eaux tièdes et tentantes :Etait-ce le port du voile, l'aversion pour le
bronzage qui accentuerait ce teint brun trop caractéristique, ou la gêne d'avoir,
eux souvent si pauvres, à être les témoins des plaisirs défendus d'heureux oisifs?
Ces motifs suffisaient à expliquer leur étrange absence de ces plages pourtant
publiques et il n'était pas nécessaire de planter dans le sable des pancartes
analogues à celles qui étaient affichées devant bien des lieux publics en Europe:,
une décennie plus tôt, pour que mes compatriotes arabes évitent d'eux-mêmes un
ostracisme prévisible.
1 ~ Méconnaissances
En fait, notre intérêt à leur égard comportait des intermittences étonnantes:
C'est ainsi qu'au lycée, nous n'avons pas eu à apprendre la langue qui était parlée
par l'immense majorité des habitants du pays. Et nos professeurs avaient omis de
nous mettre en appétit pour rechercher les clés de leur histoire.et d’un passé bien plus lointain
Dommage! Nous aurions pu scruter, au large du port d'Alger, les îlots qui
ont donné leur nom à la ville barbaresque :El Djezaïr, ainsi que les débris du fort
espagnol détruit en1529 par les corsaires turcs, Aroudj et Keireddin Barberousse,.
Le meurtre du cheikh, Selim el Teumi, gouverneur d'Alger, par ceux- là mêmes
qu'il avait appelés en renfort, inaugurait trois siècles de domination turque.
Apprendre que notre ville avait alors fondé essentiellement ses richesses sur la
piraterie officialisée, que les équipages et les passagers des vaisseaux chrétiens
pillés sous divers prétextes étaient envoyés au bagne où réduits en esclavage, que
certains de ces captifs avaient renié leur foi pour être libérés et étaient devenus
deys, m'aurait certainement transformée en observatrice attentive à toutes les
traces d'un passé complexe et fascinant!
Ces mots tracés naïvement, peu avant de quitter ma ville

            « Alger tiède et jolie, qui gâte tant qu'elle ennuie
Douce ville fade, déjà un peu étrangère, déjà?
Tu scintilles, telle un diamant de pacotille »

 témoigne de ma méconnaissance, à l'époque, de son dur passé barbaresque,
avec ses violences, qui devaient en préfigurer bien d'autres.

Notes pour un album d’images

de la Bouzaréa, magnifique belvédère à 400 mètres au- dessus d’Alger, descendent de nombreux sentiers .L’un d’eux traverse la forêt  de Baïnem, parfumée de pins , d’eucalyptus, de chênes-liège avec ses clairières recouvertes au printemps de cyclamen, de cistes et de mille fleurs sauvages lieu privilégié de  balades et de pique-nique avec nos chers amis  Jean et Marinette Bernot et leur fils Jacques.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     
Celui du «  frais Vallon » aboutit au «  Beau Fraisier » où s’élevait un vieux palais turc converti en maison de repos pour enfants J’y avais séjourné à 7 ans  après une primo infection et l’on m’y soignait en me faisant absorber d’écoeurantes gorgées de sang de cheval.. 
Eblouie par une certaine Maryse, adolescente qui s’élançait d’un bosquet à l’autre et disparaissait au détour des chemins, je quittais chaque jour  à regret le parc et ses jeux
pour de longues séances de pose avec la directrice, mademoiselle Bosserdet, artiste-peintre qui exécutait mon portrait dans un salon luxueux et feutré où le soleil filtrait à travers les stores

Les gorges de la Chiffa sont  une des curiosités de la région avec son Ruisseau des Singes
J’ai une photographie où l’un d’eux,  juché sur l’épaule de mon père ouvrait des
 cacahuètes sur son crâne !
 
 Cherchell, et, toute proche, immortalisée par Camus , Tipaza et son amphithéâtre romain furent mon  théâtre de jeux durant mon unique et mémorable colonie de vacances :nous y avions préparé
un spectacle joyeux fortement inspiré par le récent débarquement anglo- américain ;
 La plage du Chenoua avec, en toile de fond ,le mystérieux «  Tombeau de laChrétienne »,en fait tombeau royal maurétanien fut une de nos plages préférées
:

La station de Chréa, bien enneigée l'hiver, plantée de cèdres, de chênes
verts, où de jeunes marchands proposaient des oranges fraîches au bas des pistes
lieu de mes débuts en ski, et plus tard la belle station de Tikjda, encore dépourvue de remontées mécaniques, où le professeur Mandouze organisait des stages pour ses étudiants
Et tant d'autres noms, portés par la voix de ma mère, à moi seule adressés, et ressassés avec un lyrisme joyeux :
Hammam Meskoutine  dans le Constantinois, station thermale avec sa cascade aux imposants amas calcaires et ses eaux  si brûlantes qu’ on s’amusait à y cuire des œufs
, Le grand hôtel d'Hammam Rhira, d'un charme idyllique, la plaine de la Mitidja, ou avec une pointe d'inquiétude nous traversions Bordj-Bouarreridj et les sévères gorges de Palestro, sur la route de Constantine.
Parfois des noms tels que MouzaÏaville ... Birmandrès ... ,Hammam Melouan ... m'évoquent des expéditions floues, où je me laissais emmener,enjouée ou rêveuse, passive car privée
du plaisir de toute participation à l'organisation des voyages.
Installée à l'avant de la voiture, entre les deux sièges, ma position bien qu'incommode,
 m'offrait la possibilité palpitante de tenir le volant. Mais j'ai dû subir, par exemple,
 la découverte du "Bou zegza ", et ce petit bout du monde nem'a laissé d'autre souvenir
que son nom curieux.
Teniet el Haad, ce mot sonne doux à la mémoire, c'était ... , c'était. .. Oui !
Je revois un site en altitude ,avec une forêt de très vieux cèdres, en flou un
campement d'officiers de réserve, au début de la guerre,  mon père en uniforme,
 un attroupement de jeunes médecins inoccupés , empressés à soigner mon genou écorché.

                     Miliana

Ah! Miliana ! où nous étions réfugiées le temps d'une année de guerre, dans un petit  appartement. Mon père y avait  un cabinet dentaire secondaire où il  exerçait le mardi et vendredi
. Cette  ville offrit à la petite citadine « dénaturée » un terrain propice aux observations «naturalistes» avec son avenue bordée de mûriers séculaires sur lesquels se déplaçaient
 des processions de vers à soie.
A l'arrivée des grosses chaleurs , des sauterelles s'étaient abattues sur la ville et la campagne
 en nuages compacts.
               Je me souviens de l’institutrice, sévère mais  très vive, mademoiselle Redon. Visiblement enceinte, elle qui avait suscité la réprobation de  l'entourage, nous dévoilait avec complaisance les mœurs redoutables des mantes religieuses, pendant nos  sorties 
             à la campagne  et nous infligeait  indéfiniment les dissections de ces orthoptères voraces qu’étaient les sauterelles  

Et, enfin éloignée de toutes mondanités, enfin disponible, je revois ma mère toute proche,
partageant la vie simple des ménagères provinciales et allant avec moi
s'approvisionner
à bicyclette jusqu'à Margueritte, chez de bons amis épiciers., à 10 kilomètres de Miliana.
Je n'oublierai pas le soir, nous étant attardées chez eux à dîner, nous avions été
raccompagnées en carriole par une nuit d'hiver terriblement froide, sous un ciel tout constellé
d'étoiles étincelantes.


.
                    CONSTANTINE
Constantine ! J'y ai passé depuis ma plus tendre enfance toutes les vacances de Pâques.
Images précieuses et vives, ainsi la singulière maison de mes grands-parents maternels,
située au bout d'une ruelle banale, mais bâtie en surplomb au-dessus des gorges du Rhumel
et prolongée par un petit  jardin carré ouvert sur ce paysage grandiose,
 barré par le fameux  « Pont Suspendu »

                 Jasmins d’enfance à Constantine

      Colliers de jasmins ponctués d’éclatants geranium
              proposés au détour d’une rue
Ou flottant aux cous graciles de jeunes mauresques.               
        Jasmins pâles, veinés de bleu,
Enlacés aux bois patients et burinés de notre vigne familiale
       Dans le petit jardin accroché.aux flancs.des.gorges-
                       Les senteurs chaudes de ces fragiles fleurs              
               Innocentes, musulmanes, sensuelles...
Mon jasmin envié, écrasé entre des paumes moites
         Qui embaumait la lourdeur de nos siestes.

De facture orientale, la maison s'enroulait autour d'une cour intérieure pavée de
marbre blanc et décorée de mosaïques. J’en revois la disposition, avec sa grande salle à manger
<de plain-pied, aux fenêtres ouvertes sur l’extérieur, précédée d’une longue cuisine. .
<tandis que les 6 ou 7 grandes chambres se succédaient au premier étage.
<A droite de l’entrée,  on accédait en descendant quelques marches à  l’ étonnant «medjless »,
<très longue pièce obscure d'une fraîcheur constante, qui abritait les nuits de Moïse et d’Esther.
<et servait également  de réserve pour les denrées fragiles.
< 
Autre image fixée à jamais, celle de ma grand-mère.à notre arrivée rue Constantin.
Nous la découvrions, installée à sa place habituelle toute proche de l'entrée,
 parée comme une petite héroïne princière de conte oriental, avec sa coiffe pointue
 de velours sombre ornée de piécettes d'or, en forme de cône oblique retenu par une jugulaire
et sa gandourah de soie légère froncée sous un lourd corsage brodé,
De tendres paroles entremêlées de bénédictions dialectales coulaient de ses lèvres et nous nous
penchions pour l'embrasser tandis qu'elle demeurait assise, le regard humide
d'émotion, les bras tendus vers nous, avec un sourire mystique, me semblait-il.
Image pâlie, mais indélébile, sonorisée par la voix chuchotée de ma mère:

« C'était une sainte! » et plus basse encore: « morte le jour du Grand Pardon! »
Très vite, j'échappais à ce cérémonial, entourée par la troupe exubérante de
mes jeunes cousins qui m'entraînaient au premier étage de la maison, vers les
chambres d'enfants où s'entassaient d'énormes piles de
« Semaine de Suzette », et
de Jules Verne en collections Rouge et OL
J'allais aussi goûter, le temps des vacances, aux charmes ennuyeux de la vie
familiale, aux longues tablées de vingt personnes, aux rituels des repas où mon
grand-père MoÏse officiait en grand prêtre, ma grand-mère restant debout,
entre la cuisineet la salle à manger.

Je les acceptais avec respect comme une fatalité quelque peu mystérieuse à
laquelle je ne ferais aucune allusion à mon retour dans 'mon entourage non juif,
comme si j'adoptais, par atavisme, un comportement de petite marrane.


Aujourd'hui, est-il possible de faire revivre ce passé en restant indifférente à
la situation présente. ? Nous recevons des informations angoissantes et incomplètes sur l'état actuel

 de ce beau pays, dont le destin persiste à offrir une composante tragique ...
S'abstenir de toutes considérations politiques et  cesser de rêver à nos lieux d’enfance ?
 Y retourner, tout simplement ?   Pas si simple !  

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