Tout, vraiment tout…Mais ….!
Tous
les français d’Algérie qu’on nomme sans grande précision « pieds noirs »,
ont depuis leur installation en France, évoqué leur terre natale avec une
grande nostalgie
.
Beaucoup
d’entre eux pourtant n’y avaient pas eu une enfance facile !), mais, en
dépit de leurs grandes difficultés, souvent familiales, des écrivains tels qu’
Albert Camus, que Marie Cardinal, ou Hélène Cixous,( et il y en a eu bien
d’autres ont affirmé qu’ils y étaient heureux, sur cette terre miraculeuse
bleue, or, mordorée, mure, chaude, pleine de lumière…
Et là, j’avais sous les
yeux, à portée de main, toutes sortes de documents qui révélaient que tout
concourait à réserver à l’ enfant, puis à la jeune algéroise que j’étais, une
jeunesse idéale, dans un décor
d’exception, fait d’une nature encore préservée, propres à l’Algérie de cette
époque.
Alors,comment
avait-elle pu ne pas s’ y sentir
heureuse ?
Pourquoi n avait-elle eu de cesse de
la quitter dès l’âge de 20 ans ? !
J’ai exhumé d’anciennes
photographies, je les ai disposées dans un ordre platement chronologique dans
l’espoir de comprendre
documents retrouvés en dépit des changements de
lieux : deux cahiers datés de 1952 et 1953 dits « journal intime » et
surtout une série classée de lettres écrites de Paris les mêmes années et
envoyées aux siens restés à Alger jusqu’en 1959. Quels signes , au hasard des lignes et des
mots, pourront éclairer ses obscures
mais bien réelles motivations ?
Voici par exemple un extrait du
Cahier 1, daté du 11 novembre 1952, deux jours avant son départ à Paris où elle
devait continuer à poursuivre sa licence
de philosophie à l’Université
Adieu
lyrique à sa terre natale
Je vais tout quitter, ma ville, ma
vie et mes amis et ..moi-même !
Jeudi, j’abandonne tout et je pars pour une nouvelle vie
_Oui, ma rue dix mille fois arpentée
l’ennui au cœur,, ou vibrante et heureuse, tantôt lasse,, parfois joyeuse, jamais tout à fait présente
Alger chérie ,
Douce ville fade
Douce ville fade
Déjà un peu étrangère
Déjà ?
Oui , je dis au revoir à tous ces bons moments :les heures exaltantes aux cours de Jules Chaix-Ruy, l’ambiance familière de la bonne
bibliothèque,…les stimulants dialogues lors des leçons particulières de philosophie de Jean Czarnecki, dit "le Tzar",sa voix grave et posée, sa bonté intelligente qui s'exprimait en un fin sourire
Héliette, l'irremplaçable compagne et sa vitalité communicative Nous nous exaltions ensemble mais elle savait d'un mot rétablir l'équilibre, quand mes divagations utopiques m'éloignaient du monde réel
Héliette, l'irremplaçable compagne et sa vitalité communicative Nous nous exaltions ensemble mais elle savait d'un mot rétablir l'équilibre, quand mes divagations utopiques m'éloignaient du monde réel
Mon romantique « îlot de
Guyotville » aujourd’hui tout calme et triste, ruisselant de pluie, tout
en pleurs, îlot fouetté et déchiqueté
par les vents furieux, les tempêtes et la mer déchaînée , mais chaque été, au
temps de mon premier amour , inondé de soleil .entouré de flots lisses et
translucides, dans les clapotis et roulis des vaguelettes, sous les caresses de
la brise marine, calmant les brûlures d’un rayon.
Ilot ! Ilot cher à mon cœur, où
j’ai connu mes premiers émois : magie du jazz de la danse,
minutes de plénitude, Une silhouette chère, un être aimé, un tempo lent
qui vous projette hors du temps, hors des désirs, de l’attente, des espoirs ou
des regrets: enchantement d’une réalité qui surpasse en poésie le rêve, instants
magiques, rythmes qui scandent les moments heureux,puis les heures les plus
malheureuses de cette tranche de vie
Au revoir ! Je vous quitte pour 6 mois !
Demain, peut-être, je serai autre, je pars vers d’autres rives Adieu, poésie et charme de ma chambre
précieuse et vieillote,
Et vous père et
mère si chéris, comme je vais mieux vous aimer à Paris !
Au clair de café noir
Quand tu viendras chez moi, je te
prendrai la main et te mènerai par la route qui descend vers l’ILOT .Nous passerons
devant une austère maison à 2 étages, en face du garage où l’on tourne vers la
mer. « Vois-tu cette fenêtre à barreaux au rez-de-chaussée ?
Parfois le matin, quand j’allais en bicyclette acheter le pain,je voyais avec émotion une tête brune penchée sur un cahier :
Plus tard, pour m’amuser, j’ai inscrit son nom et le mien dans le couloir. Aujourd’hui , il n’en reste que pierres muettes et froides
Plus tard, pour m’amuser, j’ai inscrit son nom et le mien dans le couloir. Aujourd’hui , il n’en reste que pierres muettes et froides
Quand tu viendras chez moi, nous longerons les petites villas qui bordent
l’unique route .nous verrons Josette, au pas de sa porte, mon amie depuis le
début, compagne de mes premiers émois dont le frère, pianiste autodidacte me
fit découvrir les rythmes importés des U.S.A.
Pour la petite bande de ce lieu de
villégiature, je fus une jeune fille curieusement grave et coquette à la fois…
Nous nous arrêterons devant notre petite maison ocre et verte qui n’est que parfum de vacances, avec son jardin , sa douche en plein air , sa grande vérandah aux fresques couleur sépia peintes à même les murs par un ami artiste(jean Ainault) et évoquant un débarquement idyllique à Papeete),où tant de séances de ping- pong avaient amusé toutes les générations, y compris un chat et un crapaud apprivoisé.
Puis,nous arriverons devant la
petite plage allongée en face d’un îlot rocheux et bordée à l’Ouest par la
sombre presqu’île de Ras Acrata si belle au soleil couchant.
Juste en face tu verras « La Péniche », avec sa terrasse, lieu de
rendez-vous général ouvert sur la mer. Là les parents venaient se délasser
après les chaudes journées laborieuses et retrouver leurs progéniture occupée à
jouer aux cartes au soleil de 3 heures en été, ou à écouter la superbe
collection de nouveaux disques collectés par Dédé, le fils du patron. Nous
gravirons les quelques marches et nous regarderons ensemble à travers les vitre
embuées d’humidité que la pluie et le vent de Septembre sbattaient
tristement quand c’était si chaud et gai
de savourer en musique les dernières heures de vacances avant la redoutable
rentrée.
Je te prendrai la main et nous longerons cette petite route en lacets qui,
après la presqu’île surplombe dangereusement les falaises et la mer Nous descendrons jusqu’au port de la
Madrague : un vrai petit port de pêcheurs comme tout le monde en rêve, tranquille avec ses petits bateaux de plaisance
et ses barques colorées
En plein soleil, mes amis seraient
sur leurs voiliers ,au bout de la jetée, prêts à partir, et nous embarqueraient pour nous déposer sur la plage
voisine ,ou bien ils nous entraîneraient dans une folle virée sur leurs
hors-bors bondissants.
Puis le soir, quand le vent tombe, que la mer se fige et luit doucement, c’est
au retour des pécheurs que nous assisterons,
devant la rituelle kémia arrosée d’anisette.
Et quand tu auras goûté la paix de nos soleils couchants et le reflet
joyeux sur l’eau des loupiotes de navires
blanches et rouges.
Quand tu te seras assis sous l’arbre frais du petit jardin où je lisais si souvent et que nous aurons humé le poivre des
œillets rouges
Quand nous aurons plongé et ruisselé mille fois, alors seulement avec toi, je pourrai vraiment
dire adieu à toutes ces choses aimées. Tu me prendras la main et tu m’emmèneras
au-delà de la mer
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