jeudi 23 août 2012

Tout, vraiment tout…Mais ….!



                               Tout, vraiment tout…Mais ….!



                                  Tous les français d’Algérie qu’on nomme sans grande précision « pieds noirs », ont depuis leur installation en France, évoqué leur terre natale avec une grande nostalgie
.
                              Beaucoup d’entre eux pourtant n’y avaient pas eu une enfance facile !), mais, en dépit de leurs grandes difficultés, souvent familiales, des écrivains tels qu’ Albert Camus, que Marie Cardinal, ou Hélène Cixous,( et il y en a eu bien d’autres ont affirmé qu’ils y étaient heureux, sur cette terre miraculeuse bleue, or, mordorée, mure, chaude, pleine de lumière…


          Et là, j’avais sous les yeux, à portée de main, toutes sortes de documents qui révélaient que tout concourait à réserver à l’ enfant, puis à la jeune algéroise que j’étais, une jeunesse idéale,  dans un décor d’exception, fait d’une nature encore préservée, propres à l’Algérie de cette époque.

Alors,comment  avait-elle pu ne  pas s’ y sentir heureuse ?
 Pourquoi n avait-elle eu de cesse de la quitter dès l’âge de 20 ans ? !
  J’ai exhumé d’anciennes photographies, je les ai disposées dans un ordre platement chronologique dans l’espoir  de comprendre
       documents  retrouvés en dépit des changements de lieux : deux cahiers datés de 1952 et 1953 dits « journal intime » et surtout une série classée de lettres écrites de Paris les mêmes années et envoyées aux siens restés à Alger jusqu’en 1959.  Quels signes , au hasard des lignes et des mots, pourront  éclairer ses obscures mais bien réelles motivations ?
Voici par exemple un extrait  du Cahier 1, daté du 11 novembre 1952, deux jours avant son départ à Paris où elle devait continuer à poursuivre  sa licence de philosophie à l’Université
 
                               Adieu lyrique à sa terre natale

Je vais  tout quitter, ma ville, ma vie et mes amis et ..moi-même !
Jeudi, j’abandonne tout et je pars pour une nouvelle vie
_Oui, ma rue dix  mille fois arpentée l’ennui au cœur,, ou vibrante et heureuse, tantôt lasse,, parfois joyeuse, jamais tout à fait présente
                                                                   Alger chérie , 
                                                                   Douce ville fade                                                                                  
                                                                  Déjà un peu étrangère
                                                                                                       Déjà ?                                                        

Oui , je dis au revoir à tous ces bons moments :les heures exaltantes  aux cours de Jules Chaix-Ruy, l’ambiance familière de la bonne bibliothèque,…les stimulants dialogues   lors des  leçons particulières de philosophie de Jean Czarnecki,  dit "le Tzar",sa voix grave et posée, sa bonté  intelligente qui s'exprimait en un fin sourire 
 Héliette, l'irremplaçable compagne et sa vitalité communicative Nous nous exaltions ensemble mais  elle savait d'un mot rétablir l'équilibre, quand mes divagations  utopiques m'éloignaient du monde réel
 Mon romantique « îlot de Guyotville » aujourd’hui tout calme et triste, ruisselant de pluie, tout en pleurs,  îlot fouetté et déchiqueté par les vents furieux, les tempêtes et la mer déchaînée , mais chaque été, au temps de mon premier amour , inondé de soleil .entouré de flots lisses et translucides, dans les clapotis et roulis des vaguelettes, sous les caresses de la brise marine, calmant les brûlures d’un rayon.
 Ilot ! Ilot cher à mon cœur, où j’ai connu mes premiers émois : magie du jazz  de la danse,  minutes de plénitude, Une silhouette chère, un être aimé, un tempo lent qui vous projette hors du temps, hors des désirs, de l’attente, des espoirs ou des regrets: enchantement d’une réalité qui surpasse en poésie le rêve, instants magiques, rythmes qui scandent les moments heureux,puis les heures les plus malheureuses de cette tranche de vie 
Au revoir ! Je vous quitte pour 6 mois !
Demain, peut-être, je serai autre, je pars vers d’autres rives  Adieu, poésie et charme de ma chambre précieuse et vieillote,
                    Et vous père et mère si chéris, comme je vais mieux vous aimer à Paris !



                                         Au clair de café noir

 Quand tu viendras chez moi, je te prendrai la main et te mènerai par la route qui descend vers l’ILOT .Nous passerons devant une austère maison à 2 étages, en face du garage où l’on tourne vers la mer. « Vois-tu cette fenêtre à barreaux au rez-de-chaussée ? Parfois le matin, quand j’allais en bicyclette acheter le pain,je voyais avec émotion une tête brune penchée sur un cahier :
Plus tard, pour m’amuser, j’ai inscrit son nom et le mien dans le couloir. Aujourd’hui ,  il n’en reste que pierres muettes et froides
Quand tu viendras chez moi, nous longerons les petites villas qui bordent l’unique route .nous verrons Josette, au pas de sa porte, mon amie depuis le début, compagne de mes premiers émois dont le frère, pianiste autodidacte me fit découvrir les rythmes importés des U.S.A.
Pour la petite bande  de ce lieu de villégiature, je fus une jeune fille curieusement grave et coquette à la fois…


Nous nous arrêterons devant notre petite maison ocre et verte qui n’est que parfum de vacances, avec son jardin , sa douche en plein air , sa grande vérandah aux fresques  couleur sépia peintes à même les murs par un ami artiste(jean Ainault) et évoquant un débarquement idyllique à Papeete),où tant de séances de ping- pong  avaient amusé toutes les générations, y compris un chat et un crapaud apprivoisé.
Puis,nous arriverons   devant la petite plage allongée en face d’un îlot rocheux et bordée à l’Ouest par la sombre presqu’île de Ras Acrata si belle au soleil couchant.
Juste en face tu verras « La Péniche », avec sa terrasse, lieu de rendez-vous général ouvert sur la mer. Là les parents venaient se délasser après les chaudes journées laborieuses et retrouver leurs progéniture occupée à jouer aux cartes au soleil de 3 heures en été, ou à écouter la superbe collection de nouveaux disques collectés par Dédé, le fils du patron. Nous gravirons les quelques marches et nous regarderons ensemble à travers les vitre embuées d’humidité que la pluie et le vent de Septembre sbattaient tristement  quand c’était si chaud et gai de savourer en musique les dernières heures de vacances avant la redoutable rentrée.
Je te prendrai la main et nous longerons cette petite route en lacets qui, après la presqu’île surplombe dangereusement les falaises et  la mer Nous descendrons jusqu’au port de la Madrague : un vrai petit port de pêcheurs comme  tout le monde en rêve,  tranquille avec ses petits bateaux de plaisance et ses barques colorées
 En plein soleil, mes amis seraient sur leurs voiliers ,au bout de la jetée, prêts à partir, et nous  embarqueraient pour nous déposer sur la plage voisine ,ou bien ils nous entraîneraient dans une folle virée sur leurs hors-bors bondissants.
Puis le soir, quand le vent tombe, que la mer se fige et luit doucement, c’est au retour des pécheurs que  nous assisterons, devant la rituelle kémia arrosée d’anisette.
Et quand tu auras goûté la paix de nos soleils couchants et le reflet joyeux  sur l’eau des loupiotes de navires blanches et rouges.  
Quand tu te seras assis sous l’arbre frais du petit jardin où je lisais  si souvent et  que nous aurons humé le poivre des œillets rouges
Quand nous aurons plongé et ruisselé mille fois,  alors seulement avec toi, je pourrai vraiment dire adieu à toutes ces choses aimées. Tu me prendras la main et tu m’emmèneras au-delà de la mer 

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