mercredi 15 août 2012


La campagne Oualid


        D’où venons-nous ? Une question d’origine qui ne se pose pas pour mes enfants, ou peut-être pas encore…
        Mais pour moi, j’ai voulu un peu tard, lever un coin de voile sur des archives que le temps ne cesse d’empoussiérer et à partir de quelques documents conservés par miracle, esquisser les lignes de notre généalogie.

        Le contrat de mariage civil de ma grand-mère paternelle, Reine Oualid, rédigé sur plus de 20 feuillets jaunis mais intacts depuis le 31 Mars 1886, m' échappe des mains, et déclenche mille rêveries…
.Née dans la propriété de l'Ermitage, commune de Saint- Eugène…




          D'anciennes photographies, conservées malgré bien des péripéties sont des points d'appui précieux pour guider mon imagination, mais bien des mystères demeurent ...

...Or, voici qu'un jour s'offre à moi l'occasion inespérée de recevoir à Nice Paulet Oualid, cousin germain de mon père.
Lorsque je lui montre l'acte de mariage de ma grand mère Reine Oualid, il est captivé et m'apprend qu'il a lui même vécu à la « Campagne Oualid », jusqu'à l'âge de 52 ans !
En ce jour de Juillet 1996, ses souvenirs sont encore précis, nombreux, et il me les confie volontiers, d’une voix grave et nette, malgré ses 87 ans
Je prends soin d'enregistrer notre entretien sur magnétophone :
           En voici la transcription:

LILIANE. _ Cher Paulet, tu es donc un cousin germain de mon père,  Raoul         Temime _ lui-  même fils de Reine Oualid et David  Temime
          
PAULET._     Bien sur! Mon père Maurice (Moîse) Oualid et ta grand-mère Reine   étaient frère et sœur. Leur père, notre aïeul Isaac Oualid, a toujours vécu  dans cette  propriété familiale  nommée «l'Ermitage» depuis sa naissance en 1836, jusqu’à son décès en 1927, à la veille de ma « Barmitsva ».

LILIANE._ Tu n’avais donc  que 13 ans, car tu es né en 1914 ? A ta   naissance, il   avait déjà 78 ans ?

PAULET._ Oui, Pourtant je me souviens très bien de lui. Je l’imaginais plus jeune car il avait encore beaucoup de responsabilités et   il voyageait souvent !                                      

 LILIANE._ Je lis qu’il  a épousé  Esther Tubiana en 1861 ?

PAULET._ Sans doute, mais je ne me souviens pas l’avoir connue. Je le revois  dans mon enfance secondé par sa sœur Messaouda, femme simple mais sagace qui vivait à ses côtés et assurait avec fermeté la gestion  domestique du domaine
Ils étaient entourés de leurs sept enfants : quatre garçons: Elie, Coco, , Maurice( mon père),Albert (père de Stella), et trois filles : Reine ( ta grand-mère) ; Léontine et Rachel.

LILIANE- Voici une des trois photographies transmises par mon père    de réunions familiales qui visiblement se situent dans la véranda




PAULET-  Oh oui ! Je reconnais mon père au premier plan à gauche!
 Ils ont vécu à ses côtés au-delà de leur majorité et ne l’ont quitté que pour se marier, sauf trois d’entre eux, qui ont choisi de demeurer à la « campagne Oualid avec leurs familles respectives : mon père, ma mère (née Berthe Séror),et leurs enfants : Georges, Paul, Mireille et moi,
Marcel et sa fille Estelle,
Rachel, sœur de papa est aussi restée à l’Ermitage avec son époux, Elie Tubiana dont elle a eu une fille, Gisèle,
 Enfin mon oncle Albert, dont la femme est morte très jeune, après la naissance de leur fille Stella.

LILIANE._ J’ai bien connu Stella et je l’aimais bien. Nous la rencontrions souvent à Nice avec ma chère maman, et par la suite, je l’ai revue régulièrement, car nous étions presque voisines. Elle évoquait parfois son enfance si malheureuse…

PAULET._ C’est que son père s’était remarié avec Estelle, sa propre nièce, une fille de sa sœur Léontine dite « Tantinette » qui avait épousé le photographe Tolédano . La pauvre Stella a dès lors été plutôt maltraitée par sa jeune marâtre !

LILIANE._ Oui ! Et après un mariage avec un joueur invétéré (encore une malchance), elle a une fille Béatrice, que j’ai aussi souvent rencontrée.

Voici une deuxième photographie, très abimée 
Mais j'y reconnais sur la rangée de droite, après la dame qui  porte une fillette,  ma grand-mère Reine, et à ses côtés, David, son mari.
sur la rangée opposée , en partant de la gauche, le 3ème personnage masculinest Pinhas Temime, le frère ainé de mon grand-père



 Voici la troisième photographie :
à droite, au 1er plan, la 1ère personne est Maurice Oualid ,père de Paulet,
 la 3ème est Reine avec une longue jupe bayadère,tandis que David, debout au fond de la scène remplit le verre tendu par le jeune homme






  Mais revenons au patriarche Isaac Oualid. Saurais-tu, cher Paulet, depuis quand sa famille était implantée dans la région ?

PAULET._ Certainement avant la conquête française, Au passage, je te signale que ma mère, nommée Séror, nom de son père, était par sa mère une Oualid : nos parents étaient cousins.
. Ils pourraient être arrivés d’Espagne au 15éme siècle et avoir séjourné au Maroc  Il existe encore aujourd’hui, du côté de Tétouan, le tombeau d’un Saint Oualid, médecin qui fut sanctifié pour avoir réalisé quantité de guérisons surprenantes , dont celle d’un roi du Maroc qui souffrait d’une grave maladie. On le croyait doté d’un pouvoir surnaturel…

LILIANE._ Cette histoire me parait, sans vouloir te vexer, cher Paulet, une légende sans grand fondement

PAULET._ Pourtant l’existence de cette tombe est attestée : tu devrais te documenter

LILIANE._ Les indications précieuses que tu me fournis m’invitent à poursuivre bien des recherches !

PAULET._ Notre grand-père était un grand voyageur et parlait couramment le français l’arabe et l’anglais, tout comme mon arrière grand-père paternel qui avait occupé la fonction d’interprète dans la première mairie française crée à Alger.

LILIANE._ C’est bien le vénérable Isaac que je vois assis à la table familiale
       coiffé d’un large turban ?


       PAULET._ Mais oui, car il était vêtu sur ses terres du costume traditionnel.      I    Isaac Oualid circulait à cheval, portant des bottes aux teintes qu’il prenait    s    soin d’assortir à la selle de sa monture pour aller régler ses affaires aussi                        bien à Alger, où il possédait beaucoup d’immeubles, que dans ses territoires qui sont énumérés dans le contrat de mariage de sa fille Reine 
En revanche, il adoptait la dernière mode française et revêtait d’élégants costumes taillés sur mesure lorsqu’il voyageait en Europe, sans oublier son smoking.

LILIANE._ Quant à ce domaine couramment dénommé par les familiers « la campagne Oualid », il abritait une nombreuse famille.  Tu as dû  garder des souvenirs précis de la maison?

AULET._ Bien  sur ! Elle était fort spacieuse  avec ses 27 pièces, prolongée par une véranda, de 25 mètres de longueur séparée par de minces colonnades  d’une cour arborée, où sont prises  ces photographies de repas de fêtes.  On peut penser qu’il s’agit d’ un ancien couvent précisément indiqué sous le nom d’Ermitage  sur une carte d’Alger datée de 1945. On ne sait pas pour le moment comment avait été réalisée cette acquisition. Elle avait été agrandie progressivement au cours du dernier siècle ;



Elle comportait de nombreuses dépendances, outre un vaste four à pain, un bain maure, des élevages de volaille, une grande écurie de plus de 100 chevaux,des ateliers de fonderie et de peausserie, ainsi que des pressoirs à vin
 La synagogue était connue et les gens venaient nombreux de Notre Dame d'Afrique,  et d'Alger chaque samedi ainsi que pour les fêtes religieuses.              

LILIANE._ Oui. J'ai souvent entendu mes amis algérois évoquer ces souvenirs !

 PAULET._ Entre les prières, le jour du Grand pardon    (c'est ainsi que nous appelions la fête de Kippour) les plus âgés   devisaient assis sur les bancs disposés sous les treilles. Et je les revois dans mon souvenir cueillir des oranges pour en humer le parfum en attendant l’apparition de la première étoile.
 Non loin, s’alignaient les vergers où poussaient toutes sortes  d’arbres fruitiers : orangers, pommiers, plaqueminiers, figuiers, abricotiers, oliviers …    
Il faut dire que la propriété s’étendait sur plusieurs kilomètres  depuis la colline de Notre-Dame d’Afrique jusqu’au littoral de Saint-Eugène, bordée d’un côté par l’hôpital Maillot, de l’autre par le cimetière de Saint Eugène. Bien plus tard une partie des terres qui  le longeaient ont fini par être annexées par la ville d’Alger au profit du cimetière dont il était nécessaire d’augmenter la surface.
 A propos des vignobles, je me souviens du pressoir où les napolitains, qui vivaient et travaillaient sur place, nous autorisaient à fouler aux pieds le raisin.. Après un jour de fermentation, ils nous faisaient goûter ce jeune vin qui nous tournait la tête et nous faisions les clowns au grand amusement des vignerons...

LILIANE._ Des napolitains à Alger?

PAULET._ Oui, ils étaient logés chez nous et avaient même, je m'en souviens, leur propre élevage de cochons et de volaille .Et il y avait également des employés arabes. Parmi les plus fidèles, Ahmed (c'était son véritable prénom) a passé toute sa vie auprès de nous et a été inhumé par nos soins dans la propriété.

LILIANE._ Regarde bien, Paulet, ces photographies de cabanons de bois : Je crois y reconnaître  mes grands parents penchés à la fenêtre







PAULET._  Ils sont gravés dans mon souvenir, ces cabanons de bois  surplombant la mer, édifiés sur pilotis à même les rochers qui bordaient la propriété. Ils servaient de relais de pêche et de baignade par les chaudes journées d’été.
                    Nous partions de bon matin  à la pêche avec nos barques amarrées en contrebas,au pied des rochers tandis que nos tantes dressaient les tables sur les balcons _

LILIANE._  Ce partage des tâches te parait- il équitable ?

PAULET._  Mais oui, elles nous félicitaient de nos pêches abondantes et nous préparions  ensemble ces poissons  encore frétillants

LILIANE._ C’est surprenant, je vois maintenant d’où venait la passion de mon père pour  la pêche en mer… Ces cabanons étaient-ils habitables ?


PAULET._ Non ! Ils avaient simplement une sorte de salon-salle-à-manger ouverte sur la mer ainsi qu’une cuisine aménagée. Dès le coucher du soleil, nous remontions à la maison

LILIANE._ La belle vie ! Je comprends que tu n’aies pas eu envie de quitter ces lieux idylliques…



PAULET._ Plus grand,  j’ai beaucoup aidé mon père à l’atelier de fonderie,   et ce n’est pas le travail qui manquait.
Savais-tu qu’Isaac, mon grand-père, était propriétaire d’une Compagnie de transport en tramways à chevaux ?

LILIANE._ Je l’ignorais ! Je ne pensais pas du vivant de papa, à l’interroger sur les activités de ses grands- parents, et je le regrette aujourd’hui.

PAULET._  Il entretenait  une écurie d’une centaine de chevaux destinés notamment à ces calèches collectives qui pouvaient transporter jusqu’à huit voyageurs.
Elles étaient tirées chacune par trois à quatre chevaux, qui devaient gravir la côte rude et longue  reliant la place du gouvernement dans le bas de la ville au sommet de la colline de Notre-Dame d’Afrique.
A cette époque, je me souviens que la moitié de la ville appartenait à notre famille. Mais, à la mort de notre grand-père, peu à peu, les maisons, les édifices ont été vendus.
Par la suite, lorsque la concession de tramways a été concédée à un certain Barzand, cette vaste écurie a été transformée en  divers ateliers par mon père.
Plus tard encore, lorsqu’on a électrifié la ligne qui reliait la ville à l’hôpital Maillot, on a continué à utiliser quelques calèches sur la portion Maillot-Notre dame d’Afrique.
Puis elles ont fini par être remplacées par des autobus.
Je te disais que l’écurie désaffectée avait été transformée en atelier de fonderie et de tannerie par mon père. Une dernière anecdote à ce sujet : Celui-ci y fabriquait toutes sortes d’objets de facture orientale : cuivres ciselés, babouches brodées, portefeuilles en cuir repoussé et il lui arrivait d’en confier la vente, à un jeune cousin qui allait proposer ces objets d'artisanat local sur les navires de tourisme en escale dans le port d’Alger.
Un beau jour, ce dernier n'est pas revenu!
! Quelques temps plus tard, mon père reçoit une lettre de son jeune cousin: Il avait, écrivait celui-ci, décidé de s'embarquer sur un navire en partance pour l'Argentine. Il s 'était installé à Buenos -Aires où il avait ouvert un restaurant …et il lui promettait de lui restituer un jour son dû  »
Figure-toi, Liliane, que, vingt cinq ans plus tard, nous avons bel et bien reçu une note d'un notaire adressant le montant,fort dévalué avec le temps, de cette dette.
             Il existe peut-être des descendants de ce Oualid expatrié qui vivent en Argentine.

LILIANE._ Merci infiniment, cher Paulet   Ces témoignages si vivants sont très précieux d’autant plus qu’ils permettent de  reconstituer un cadre et un mode de vie  totalement révolus.
               Je ne tarderai pas à t’envoyer, ainsi qu’à ta sœur Mireille, la transcription de cet entretien  accompagné des photographies  prises à l’Ermitage


Cette saga initie bien d’autres questions !

 Il m’appartient désormais de remonter plus avant dans l’histoire de ma famille paternelle , de retrouver les derniers témoins vivants, et de poursuivre ma quête en interrogeant les archives.

Je viens d’apprendre avec grande tristesse par sa nièce Monique Page, la disparition, à l’àge de 93 ans, de mon cher Paulet.
 Il  me reste encore à rendre visite à sa sœur Mireille, afin, si sa santé lui permet de me recevoir, de lui remettre ce compte- rendu d’un entretien trop vite interrompu .

3 commentaires:

  1. Liliane Temime,bonjour,

    je me présente,je suis une arrière-fille d’Élie Oualid et je pense avoir reconnu ma grand-mère Alice et ses 2 sœurs Lydia et Georgette sur une des photos que vous publiez.Si je ne me trompe pas ,elle daterait des années 1912-1914.Peut être pouvez vous mettre d'autres noms encore sur les visages.Je m'intéresse beaucoup à l'histoire et à la généalogie.
    Merci d'avance,
    Judith

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    1. Bonjour,
      Un grand merci pour votre intéressant commentaire

      Je pourrais vous donner d'autres noms si vous me précisiez sur quelle photographie vous avez reconnu votre grand-mère et ses 2 soeurs ,ainsi que leur place exacte .
      Il est préférable, si vous voulez bien, que vous me répondiez par mail:
      le mien est:liltgirar@hotmail.com

      A bientôt,


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  2. Bonjour, je viens de découvrir ce merveilleux blog et ce qui ma retenu c'est le nom de OUALID et la campagne OUALID.
    En 2007 un ami juif pied noir d'Algérie que j'ai connue sur internet faisait des recherches sur des personnes portant le nom de OUALID et leur ascendants et autres en meme temps sur la Villa OUALID.
    Il ma transmit une liste de noms de personnes de confession juive enterrés à Saint-Eugène et je lui est envoyer pas de photos que j'ai prise au cimetière de Saint-Eugène d'après les noms qu'il ma donné en 2007 il y a une très grand rapprochement.
    Amicalement Louisa

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